Dans une certaine mesure, la 3e vague féministe s'inscrit au niveau théorique bien plus qu'au niveau pratique puisque son objectif se résume principalement à élargir les débats féministes selon un procédé discursif. Ce qui, d'ailleurs, explique en partie le sentiment de désuétude du féminisme. Toutefois, malgré le snobisme entourant trop souvent la place de la théorie dans les luttes sociales, un mouvement théorique a un potentiel infini quant à son impact sur le concret. Il faut cesser de croire que le féminisme théorique ne vaut rien sans sa dimension pratique; le contraire étant tout aussi vrai. Le développement des différentes théories féministes dans les milieux intellectuels sont plus que jamais nécessaires à l'évolution et donc à la « belle mort » du féminisme - j'entends ici par « belle mort » l'atteinte des objectifs que se sont fixées les féminismes de différentes époques, et non pas une « mort abrupte » qui serait de voir disparaître le féminisme avant l'achèvement de son dessein.
Depuis Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir (1949), les femmes ont été appelées à se positionner en tant que sujet. L'argumentation féministe de la 2 e vague, peu importe le référent masculin ou féminin, s'est fondé sur cette idée du positionnement de la subjectivité. Les femmes ont effectivement réussi à se désobjectiver, mais non à transcender l'altérité. Le féminisme post-moderniste tente d'aller au-delà de ce constat en se questionnant non seulement sur le genre mais plus précisément sur le processus identitaire; non sur le « pourquoi » mais sur le « comment » ce processus s'articule. En ce sens, les perspectives queers émettent une grille d'analyse qui permet de transcender et de cerner les nombreux enjeux reliés à la question identitaire. L'approche queer semble s'inscrire parfaitement dans la lancée de la pluralisation du « féminin » qui définit notre époque moderne. Je poserai le développement de ces perspectives comme étant le souffle nouveau du féminisme , soit la 3 e vague. De par ses fondements théoriques, la conséquence qu'une telle approche suppose est précisément cette « belle mort » du féminisme. L'objectif est donc émancipateur puisqu'il vise la « déconstruction ontologique de la subjectivité ». Cette approche est souvent mal-aimée puisque mal comprise. Je me permets donc d'apporter la nuance dès le départ : avoir un esprit queer n'implique pas une abstraction de la subjectivité politique, cela suggère plutôt un positionnement identitaire qui ne se fonde pas sur un processus de type binaire; mais nous reviendrons à cette question au cours de ce texte.
Je tenterai d'expliquer les fondements de cette approche ainsi que les conséquences souhaitables, selon un objectif émancipateur, et inévitables, au niveau politique, qu'engendre cet esprit queer. De plus, je me risquerai à démontrer en quoi être queer peut être vécue dans une dimension politique. Ce point me semble primordial, car trop souvent il y a tendance récursive à conclure qu'une fois le processus identitaire évincé, un positionnement politique définit devient inconcevable. Il est pourtant primordial de « préserver la possibilité d'une action qui ne se fonde pas sur l'identité ».
1- Cheminement, émergence et implication d'une pensée queer Bref historiqueCette pensée a lentement cheminé au cours des années 70 et s'est véritablement consolidée dans les années 90, entre autres avec la parution du livre Gender Trouble de Judith Butler (1990). La particularité de cette perspective est d'avoir été adoptée autant par les mouvements homosexuels que féministes, ou du moins par une faction de ces mouvements. Les homosexuels, tout comme les féministes, ont profité du contexte d'ébullition social des années 70 pour s'insérer dans les revendications de transformations sociétales sous diverses formes. Ils ont procédé à leur auto-désignation avec l'appropriation de mots comme lesbienne et gai, mettant ainsi fin à la référence pathologique. Une nouvelle identité venait de naître. Toutefois, cette normalisation de l'homosexualité a créé beaucoup de remous à l'intérieur de cette « classe » qui apparaissait contraignante pour certains individus. Les « autres », les « étranges » (queers en anglais), n'avaient pas leur place au sein de ce groupe. Ces derniers refusaient d'être perçus comme « en marge » ou périphérique à la norme. L' Histoire de la sexualité , Michel Foucault (1976), a fortement inspirée ces critiques par sa vision de l'homosexualité en tant que processus historiquement construit. Avec sa critique de la subjectivité, Foucault fut un des premiers intellectuels qui a mis en lumière les sinuosités du mécanisme identitaire, du moins dans sa forme discursive. Le problème de l'identité résidera dorénavant dans sa double fonction : la nécessité de se l'approprier et sa claustration inhérente.
Division binaire et hiérarchisationL'important n'est pas se questionner sur le pourquoi de l'oppression d'un groupe sur un autre, mais sur le comment ce mécanisme d'oppression s'opère, sa fonction initiale, sa matérialisation et ses conditions de persistance historique. Pour les queers, la réponse semble claire : la division binaire de notre société est la source de tous conflits et difficultés des rapports sociaux passés et actuels. Être queer c'est tenter de répondre à la vision binaire du monde, cependant cela « ne consiste pas à légitimer ce que l'on sait déjà mais à se demander de quelle manière on pourrait penser autrement ». La pensée qui se dégage des perspectives queers reposent sur le fondement que toute bipolarité exerce une fonction restrictive qui permet l'oppression d'un groupe sur un autre. La vision binaire de notre société fait partie de la naturalisation inhérente au processus de socialisation de cette dernière : homme-femme, hétérosexuel-homosexuel, bien-mal, le vrai et le faux etc. Pour désigner à quel groupe on appartient, il faut le faire en fonction de l'autre; notre identité est de facto créée par le rapport qu'on entretient à l'autre. Ceci étant, selon les perspectives queers, il n'est pas impossible, il est même indispensable, de dépasser les facteurs de déterminations identitaires.
La vision binaire de notre société place les hommes et les femmes dans deux catégories distinctes. Ce faisant, cette catégorisation signifie nécessairement hiérarchisation puisqu'elle est faite en fonction les normes patriarcales qui gèrent notre société. De ce fait, les modèles et idéaux que nous renvoie la société sont gouvernés par cette vision androcentrique. Tant que la différence entre homme et femme sera posée, le référent sera inévitablement le masculin. La binarisation crée inévitablement des relations de pouvoir. Le simple fait d'opposer deux catégories crée des rapports spécifiques entre les individus. À partir du moment où un individu se définit selon les normes, il s'inscrit dans un processus identitaire qui renforce la hiérarchisation entre le soi et l'individu que l'on pose comme étant l'autre.
La classification des individus en groupes donnés permet une socialisation différentielle. Dès sa naissance, l'individu est restreint à l'une des deux catégories préexistantes. Dans cette optique, tout individu est donc initialement apte à ressentir et exprimer une panoplie de sentiments vaste et illimité. Cependant, en suivant le processus déterminé de la socialisation, l'être humain sera défini, limité, orienté selon les normes et idéaux de notre société. L'individu sera donc non seulement localisé mais contrôlé sur la base de son appartenance sociosexuelle. Cet individu deviendra et assumera son sexe ainsi que l'orientation sexuelle propre à ce sexe. Si le genre n'existe pas en soi, la sexualité non plus; elle est une construction sociale en constante reconstitution, elle est un lieu de domestication et de contrôle social.
PerformativitéCette reconstitution est une forme de performativité du genre . En plus d'être orienté vers la catégorie de genre qui correspond à son sexe biologique, l'individu sera socialisé selon ce genre, puis ce processus de socialisation sera répété, performé sans fin tout au long de sa vie. L'individu n'assume pas délibérément et avec plaisir le genre, c'est plutôt par la réitération qu'il se consolide dans son genre. La performativité est une précondition de l'individu; une sorte de rituel devenu intrinsèque de par son assimilation. Le seul moyen de contrer ce dispositif de régulation est donc d'abolir toute catégorisation binaire. Se définir en tant que femme ou en tant qu'homme c'est consentir à la vision essentialiste et naturaliste de notre histoire, car la relation entre le sexe et le genre est actuellement indissociable.
Être queer c'est accepter et assumer une identité sans essence. Une nuance s'impose ici : une identité sans essence ne signifie pas l'absence d'identité, mais bien le retrait de l'ascendant reliée à l'identité historiquement construite (selon une catégorisation binaire). Cette position apolitique est en soi un geste politique, c'est une prise de position, ou une opposition face aux règles qui régissent notre société. Pour être en mesure de concevoir cette position comme étant politique, il nous faut reconceptualiser ce qu'est le politique. Le politique préexiste sur la politique, ce faisant, un non-positionnement au niveau du politique influencera directement le consensus à atteindre au niveau de la politique. Certes, il devient malaisé de comprendre en quoi ce non-positionnement pourra transfigurer la réalité , mais le réel n'est pas un facteur exogène de la raison. Si nous naissons avec un potentiel polymorphe et que la seule raison de coller une identité à un être humain est un outil de contrôle social, pourquoi maintenir ce processus identitaire? Selon les perspectives queers, ce processus représente justement la racine de l'oppression. Cette déconstruction identitaire peut sembler familière avec l'approche anarchiste. Cependant, cette dernière suggère une alternative qui pourrait potentiellement définir une nouvelle forme d'institutionnalisation. La théorie de Michel Foucault sur le pouvoir prend ici toute sa forme, car pour lui le pouvoir est toujours présent; le convoiter autrement ne constitue qu'un transfiguration de celui-ci . Or, sa pensée soulève une nuance essentielle : lorsque l'essence des identités est retirée, le pouvoir se dilue; il se prononce partout et nul part. En retirant l'importance des catégorisations, le désir de convoitise du pouvoir perd son sens; c'est l'équilibre du pouvoir, le pouvoir immanent. Plus encore, c'est l'ouverture à l'infini des possibilités puisque la catégorisation et les différentes formes de pouvoirs qui s'y rattachent n'ont plus d'emprise sur le champ des possibilités.
Certes, le concept de genre à été largement critiqué depuis les trente dernières années par les féministes de tous horizons. Les perspectives queers élargissent toutefois cette critique en posant l'aspect essentialiste de l'identité comme inhérent à la vision binaire de notre société. Les limites de ce processus identitaire me semblent de plus en plus évidentes puisque ce processus est un instrument régulateur, une construction rationalisante de notre société. Ce faisant, l'utilisation abusive de références à l'identité est à portée de tous et chacun; les dangers d'une telle utilisation sont réels.
Les perspectives queers se sont attardées principalement sur l'identité sexuelle et l'identité de genre. Cependant, la qualité de leurs critiques font de cette approche une grille d'analyse d'excellence pour aborder la problématique identitaire sous toutes ses formes. En effet, les perspectives queers explorent plusieurs pistes de réflexions sur l'identité, et obligent à repenser les présupposés de notre structure sociétale afin de se dégager de tout « sens commun », c'est-à-dire faire abstraction de nos constructions identitaires afin de penser le monde autrement...
2- Queer et politique vers une liberté identitaire « Il s'agit donc de penser comment préserver la possibilitéd'une action qui ne se fonde pas sur l'identité ». Stratégie de lutteAu plan stratégique, la tentation usuelle est de se poser comme sujet politique : « comme le soulignait Arendt, quand on est attaqué comme une catégorie, [...], il faut bien répondre comme catégorie ». Pour faire parti d'une collectivité quelconque, il faut s'identifier à cette collectivité. Toutefois, cette affirmation ne tient plus dès qu'il y a non-reconnaisance ou refus d'existence de la catégorisation binaire. La « décatégorisation » apparaît bien plus essentielle à opérer que le positionnement formel. Dans cette perspective, il faut cesser de répondre par l'identification déterminée, ce qui nous permettra d'agir autrement. L'esprit queer suggère de cesser de remettre aux mains de l'autre la destinée identitaire de l'Être polymorphe; mais cela n'implique pas pour autant la subjectivation de cet Être.
Le non-positionnement du sujet semble pouvoir prendre la forme d'une action délibérée dans un objectif d'émancipation. Le non-positionnement, comme je le suggère, suppose non seulement la reconceptualisation de l'identité, mais également du rapport à l'identité et des rapports sociaux qui en découlent. Quant est-il, me direz-vous, des mesures de discrimination positive qui permettent la valorisation de catégories dites opprimées? Ces mesures coercitives donnent effectivement des résultats concrets. Néanmoins, « il est difficile de justifier la parité sans faire appel à une vision bisexuée de l'humanité ». À long terme, cette stratégie atteindra ses propres limites et le problème de la hiérarchisation se réincarnera de façon encore plus pernicieuse, car la discrimination positive ne fait que renforcer le processus identitaire qu'elle tente précisément de conjurer. Ainsi, être queer et politique est possiblement réconciliable puisque la non-positionnement est un refus d'un cadre référentiel sans pour autant être un refus d'existence. « Se référer à » n'a pas les mêmes implications qu'« être soi ». En d'autres termes, la catégorisation référentielle peut être abjurée sans pour autant qu'il y ait refus d'exister.
Identité et sentiment d'appartenanceLe concept du sentiment d'appartenance implique une reconnaissance et une acceptation de l'identité. La complexité vient du fait que « les identités [...] sont alternativement instituées et abandonnées au gré des objectifs » et des conjonctures. Mais comment se conceptualise l'identité, le fait d'être ou le fait de le reconnaître? Si « l'identité est nécessaire aux opprimés », c'est qu'elle est perçue comme un instrument extérieur et essentiel aux individus. Pour ressentir l'appartenance, il faut une identification préalable; nous devons d'abord ressentir une identité, une ressemblance, une similitude par rapport à un groupe quelconque. Le fait d'être semblables donne aux individus le sentiment d'appartenir à cette collectivité. Par contre, le fait d'être semblable ne signifie pas toujours qu'il y a un sentiment d'appartenance. Cette similitude doit s'inscrire dans une hiérarchie de valeurs propre à chacun. Prenons l'exemple d'un travesti : « être un homme » est, dans le cas présent, moins significatif qu'« être femme ». Malgré que son sexe biologique soit relié à la catégorie homme, cette identité, car le sexe biologique est une identité en soi, est de moindre importance que son identité de genre, c'est à dire femme. Le sentiment d'appartenance à la collectivité masculine n'est pas substantiel; l'appartenance au genre féminin est hiérarchiquement et manifestement plus importante. Ainsi, le sentiment d'appartenance dépend de deux facteurs : l'identité (la similitude ressentie) et les valeurs (la hiérarchie accordée).
De la même façon, le fait d'être femme ne suppose rien en soi; cela indique seulement une similitude, un trait commun. Avec l'avènement du féminisme, il y a eu problématisation la situation des femmes en générale, ce qui a fait naître un sentiment d'appartenance qui à son tour a engendré des actions sociales, politiques et économiques. L'identité féminine n'est que le point de départ du processus de revendications, alors que le sentiment d'appartenance à ce groupe est à la base du mouvement même. Ce faisant, une hiérarchisation se fait de façon naturelle et spontanée : lorsqu'on est ceci, on est PAS cela; la spécificité prend tout son sens dans l'altérité. Si l'altérité ne sert plus de rempart à l'identité, cette dernière perd son emprise sur l'Être.
La tradition et l'histoire comme lieu d'enfermement de l'identitéEn comprenant ce que nous venons d'exposer, pourquoi sommes-nous si attachées à certaines de nos identités? Pourquoi nous réconfortent-elles? Probablement parce qu'elles nous permettent une certaine emprise sur le social. Dans un monde de plus en plus séculier, juxtaposé à l'individualisme contemporain, l'identité fait foi de Dieu, le Moi est souverain. L'appartenance devient une forme de tradition. L'Histoire est alors primordiale, car c'est sur elle que repose la construction de notre identité. Par exemple, « Être Québécois » c'est reconnaître l'Histoire du peuple dit québécois. En faisant éclater les identités à la base des oppressions, ne tue t-on pas l'Histoire du même coup? Ce qui pose véritablement problème c'est la notion conservatrice et romantique de la tradition. Ce conservatisme est en soi extrêmement réducteur, car dès que l'on ne fait pas partie de l'Histoire et des traditions, on ne peut réclamer l'identité rattachée à cette tradition. La spécificité québécoise est alors constituée du passé et non du présent, et en quelque sorte prise dans l'autarcie avec elle-même, et donc source de l'incapacité d'émancipation. Le fait d'être féministe peut également être vécu en rapport à une certaine tradition; et comme je viens de l'expliquer, cette forme de vécu peut comporter certains risques. Être féministe et Être québécoise doivent donc subir une reconceptualisation importante pour permettre une nouvelle dynamique qui rendrait compte de la complexité de la situation actuelle, soit être une femme en 2004.
En tentant de réconcilier les perspectives queers avec l'action politique, nous sommes dans l'obligation de nous tourner vers l'avenir, d'oublier la tradition et l'Histoire pour réclamer une spécificité propre au moment présent qui ne s'élabore pas sur des assises identitaires. En d'autres termes, une fois l'identité éclatée, le sentiment d'appartenance n'est plus nécessaire. L'identité sexuelle, de genre et de désir devrait se muter en une multitude d'identités sur lesquelles il serait impossible de fonder une hiérarchisation et un sentiment d'appartenance. Il ne s'agit pas de faire disparaître complètement l'identité mais de lui retirer sa valeur et la portée qu'on lui a accordé jusqu'à ce jour. Cette conception théorique soulève la possibilité de réconcilier la revendication d'une identité sans essence avec le politique; c'est-à-dire un positionnement identitaire qui ne se fonde pas dans une perspective hétéro-référentielle, mais bien auto-référentielle. .
La liberté identitaire : un état inaltéréSans identité hiérarchisée, les individus ne possèdent que leur « état inaltéré », c'est-à-dire un état qui se situe dans l'univers des possibilités infinies et non contraint par les déterminations de la socialisation. Pour que le concept de l'identité ne privilégie pas la classe dominante, il faut créer un espace pour le déploiement d'une multitude d'identités. Dès lors où la catégorisation binaire fait place à une seule catégorie inclusive de toute identité, nous ne pouvons plus parler en terme de catégorie puisque la pratique de catégorisation inclut une relation entre catégories. Ainsi, se positionner politiquement ne pose plus problème puisque ce positionnement ne se fonde pas sur une identité issue d'une catégorisation. De plus, dans cet « état inaltéré », le pouvoir existe, comme je l'ai mentionné précédemment, mais ne peut prendre la forme d'un ascendant sur l'identité; il ne peut donc pas être instrumentalisé.
Avec l'éclatement de l'identité (ou plutôt la démultiplication) le sentiment d'appartenance change de signification. Il ne vit plus dans son rapport à l'altérité mais bien à l'intérieur de chaque Être et l'identité ne se fonde plus sur le passé, mais bel et bien dans le présent. En suivant ce processus, la « belle mort » du féminisme est envisageable puisque son rapport à l'altérité s'en trouve annihilé; il y a référent tant qu'il y a altérité. Dans sa forme la plus radicale, le féminisme a bel et bien tenté de changer de référent; mais ce changement ne suffit pas, il faut retirer l'existence même de référent, car quel qu'il soit, il renvoie automatiquement à une catégorisation binaire. Les perspectives queers, puisqu'elles invoquent l'absence de catégorie comme seule issue possible, ont bel et bien soulevé cette problématique fondamentale de la socialisation historiquement déterminée.
ConclusionPremièrement, nous devons faire une nuance sur sa théorisation de cette 3 e vague féministe : les perspectives queers nous mènent très certainement à un niveau d'abstraction dont les usages sont plus fréquemment cloisonnés dans les milieux intellectuels. Quoi qu'il en soit, cette théorisation symbolise une réalité non seulement générationnelle mais également post-moderne. Une des caractéristiques du féminisme post-moderniste est certainement son penchant épistémologique. Le bilan des acquis, propre à ce post-modernisme, permet de concevoir les geste à ne plus poser (parce qu'inadéquat pour l'époque actuelle) mais suggère également des pistes à explorer. Une de ces pistes réside dans les perspectives queers. La persistance de la catégorisation binaire, doit en soi piquer notre curiosité. Pour ma part, deux éléments me semblent plus primordiaux que les autres : trouver des outils permettant de sortir du cadre référentiel hiérarchique et interpréter la position dite apolitique des individus autrement. En ce sens, le non-positionnement peut être perçu et vécu comme une non-intervention, un désintérêt, un détachement (peut être souhaitable), mais ne peut-il pas également représenter une reconceptualisation des rapports sociaux dont la définition nous échappe?
Les perspectives queers amènent un nouveau souffle, une vision du monde autre, un concept nouveau, celui de la liberté identitaire, c'est-à-dire une liberté polymorphe. Cette liberté ne se définit pas par les libertés individuelles, ni même collectives, mais bien une liberté immanente nécessaire avec l'émancipation de l'Être.
[ à lire aussi sur la 3e vague féministe ] BIBLIOGRAPHIE :
BOURSIER, Marie-Hélène, ZOO, « Q comme queer », les cahiers gais , Kitsch Camp, Paris, 1998. BUTLER, Édith, « Gender trouble : feminism and subversion of identity », Routledge Editors, New-York, 1990, 172 pages DE BEAUVOIR, Simone, « Le deuxième Sexe , tome 1», Éditions Gallimard, Paris, 2 e édition, 1977, 510 pages FOUCAULT, Michel, « La volonté de savoir : histoire de la sexualité 1 », collection tel, Éditions Gallimard, Paris, 1976, 211 pages JAGOSE, Annamarie, « Queer theory, an introduction », New York University Press, New York, 1996, 227 pages. LAMOUREUX Diane, « Agir sans « Nous » ». In Les limites de l'identité sexuell e, Montréal, les éditions du remue-ménage, 1998. LAMOUREUX, Diane, Chantal Maillé et Micheline De Sève (sous la dir.), « Malaises identitaires : échanges féministes autour d'un Québec incertain », Les Éditions du Remue-Ménage, Montréal, 1999, 204 pages MACLURE Jocelyn et GAGNON, Alain, « repères en mutation : identité et citoyenneté dans le Québec contemporain », Éditions Québec/Amérique, Montréal, 2001, 434 pages. MOUFFE, Chantal, « La politique démocratique doit-elle être fondée sur la raison? », Dans L'irrationnel, menace ou nécessité ?, sous la direction de Myriam Revault D'Allones, Forum Le Monde, Éditions du Seuil, 1999 NAVARRO SWAIN, Tania, « Au-delà du binaire : les queers et l'éclatement du genre », In Les limites de l'identité sexuelle sous la direction de Diane Lamoureux, Montréal, les éditions du remue-ménage, 1998. OLIVIER, Lawrence, avec la collaboration de Roger NoËL (1994), «Michel Foucault : problématique pour une histoire de l'homosexualité », Revue sexologique, vol. 2, No 1, 1997. PRÉJEAN, Marc, « Le code des rapports de sexe », In Sexes et pouvoir , Montréal, les presses de l'université de Montréal, 1996. RICH, Adrienne, « La contrainte à l'hétérosexualité et l'existence lesbienne », Dans Nouvelles questions féministes , Paris, 1981. ROSANVALLON, Pierre, « La démocratie inachevée », Éditions Gallimard, Paris, 2000, 422 pages. SAVONA, Jeanelle Laillou, « Le phénomène « queer » : essai de lectures féministe », Revue Canadienne de littérature comparée , Montréal, 1994. SEDGWICK, Eve, « Construire des significations « queer » », Les études gay et lesbiennes ; Colloque du Centre Georges Pompidou, Paris, 1998. J'entends ici par féminisme tous les féminismes. Diane Lamoureux, « Agir sans « Nous » », In Les limites de l'identité sexuell e, Montréal, les éditions du remue-ménage, 1998. p. 104 Marie-Hélène Boursier, ZOO, « Q comme queer », les cahiers gais , Kitsch Camp, Paris, 1998, p.83 Le concept de performativité a été élaboré par Judith Butler dans son livre Gender Trouble : feminism and subversion of identity , Routledge Editors, New-York, 1990, 172 pages Dans son livre « La démocratie inachevée » Pierre Rosanvallon (2000), en faisant une critique du rationalisme, inverse le primat de la raison sur le réel. Ce faisant, la politique ne se conçoit plus comme une transfiguration du réel, mais bien l'inverse. Voir Michel Foucault, « La volonté de savoir : histoire de la sexualité 1 », collection tel, Éditions Gallimard, Paris, 1976, 211 pages Op. Cit ., Lamoureux, « Agir sans « Nous » », p. 90 Ibid ., Lamoureux, « Agir sans « Nous » », p. 105 Diane Lamoureux, Chantal Maillé et Micheline De Sève (sous la dir.), « Malaises identitaires : échanges féministes autour d'un Québec incertain », Les Éditions du Remue-Ménage, Montréal, 1999, page 51 Op. Cit ., Lamoureux, « Agir sans « Nous » », p. 106 Thierry Hentsch, « L'identité devant l'exercice de la raison kunique », Conjonctures , No. 10-11, automne 1988, p. 137 Cette dynamique ou « ordre compulsif » du sexe/genre/désir a été élaborée par Judith Butler dans son livre Gender Trouble . Elle définit ainsi le processus identitaire selon lequel le sexe biologique assure le genre, qui à son tour oriente le désir hétérosexuel.
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